Ce que l’on ne vous a jamais dit sur la langue bourguignonne

Ce que l’on ne vous a jamais dit sur la langue bourguignonne

Cette variante de la langue d’oïl est toujours pratiquée et vient même de faire son entrée à l’université.

En français, l’imparfait du subjonctif a quasiment disparu et le passé simple semble engagé sur la même pente fatale. Or, on n’observe rien de tel en bourguignon où ces deux temps continuent d’être usités – y compris à l’oral. Oui, oui, vous avez bien lu : en bourguignon ! ce supposé “patois dénué d’intérêt” dont beaucoup ne soupçonnent même pas l’existence. Et pourtant…

Commençons par la base. Comme le portugais correspond à l’évolution du latin au Portugal et le sicilien à l’évolution du latin en Sicile, le bourguignon correspond à l’évolution spécifique qu’a connue le latin en Bourgogne. A l’instar du picard, du normand ou du français, il appartient à la famille des langues d’oïl, dont il se distingue à la fois par des influences germaniques, et notamment burgondes (le peuple qui a donné son nom à la région). De là des termes comme bôs (bois) et bôcheûre (haie vive), dérivés du francique bosk (buisson) ; échicle (écharde), qui aurait pour origine le burgonde skifra (éclat, écharde) ou encore porgalai ou peurgalai (“mettre en fuite des animaux”), issu de l’ancien francique wala. Le bourguignon se distingue également par le genre de certains noms puisque “fourmi” est masculin et “merle” féminin. Signalons enfin qu’il a offert au français quelques termes, en particulier – faut-il s’en étonner ? – dans le domaine culinaire, avec “meurette”.

Ecrit depuis des siècles, le bourguignon a par ailleurs été langue administrative du temps des prestigieux ducs de Bourgogne. Il a également donné lieu à une abondante production littéraire, représentée notamment par Bernard de La Monnoye et Aimé Piron, admiré des princes de Condé. Encore aujourd’hui, des écrivains le servent en publiant des textes de fiction, des chansons et des pièces de théâtre.

On le devine : le bourguignon n’est pas en grande forme et, ici comme ailleurs, cette situation n’est pas le fruit du hasard. Comme toutes les langues dites régionales, il a été exclu de l’école de la République. Décision terrible. “Les familles ont compris le message : la réussite sociale passait par le français, et seulement le français. Dans l’intérêt de leurs enfants, elles ont cessé de leur parler bourguignon”, souligne Gilles Barrot, membre de la Maison du patrimoine oral de Bourgogne, située à Annot, en Saône-et-Loire. Et malheur à ceux qui ont voulu conserver leur culture ! “Quand je suis arrivé en classe, dans les années 1950, l’instituteur avait mis au point une technique pour humilier ceux qui, comme moi, ne connaissaient que le bourguignon, se souvient Jean-Luc Debard. Il nous faisait monter sur l’estrade et nous demandait de parler. Et comme nous ne pouvions employer que la langue de nos parents, les autres élèves éclataient de rire ! C’était très dur”. Comme beaucoup, cet homme a par la suite “choisi” de ne pas transmettre le bourguignon à ses enfants, afin de leur épargner de telles expériences…

Combien reste-t-il aujourd’hui de locuteurs ? Il est impossible de le dire : ni l’Etat, ni la région ne mènent d’enquêtes sur le sujet. Mais les responsables de la Maison du patrimoine oral de Bourgogne ont une conviction : ils sont plus nombreux qu’on ne le croit. “Les ateliers de conversation que nous organisons rencontrent un grand succès et 80 % des maires de l’Auxois, dans le département de la Côte d’Or, sont de très bons locuteurs”, souligne le même Jean-Luc Debard. “Pour ma part, je suis intervenu l’autre jour dans une classe de cinquième et j’ai pu m’entretenir facilement avec l’un des élèves”, complète Pierre Léger.

A l’heure actuelle, l’Education nationale ne réserve pas la moindre place officielle au bourguignon dans le système scolaire. Seuls des ateliers d’initiation ont été créés à l’initiative de bénévoles à raison de… 60 heures annuelles – au total ! – dans une poignée d’écoles. Ni la région, ni les départements ne lui octroient le moindre centime et nul élu n’est chargé spécifiquement du sujet. Seule la Délégation générale au français et aux langues de France (DGLFLF) du ministère de la Culture accorde un financement de… 15 000 euros par an à la Maison du patrimoine oral de Bourgogne, où Elise Allyot occupe un poste à mi-temps.

Terminons néanmoins sur une note positive. Depuis la rentrée, l’Université de Bourgogne de Dijon et son département Sciences du langage consacrent des cours à l’initiation et à la découverte des langues de Bourgogne. Un début de reconnaissance, enfin.

Par Michel Feltin-Palas – (Rédacteur en chef à l’Express) – Publié le 14/10/2025 à 06:15

    Partager l'article

    Laisser un commentaire

    Articles récents

    Et si on prenait contact ?

    This site is protected by reCAPTCHA and the Google Privacy Policy and Terms of Service apply.

    Pour recevoir tous les mois par mail l'actualité des Langues de Bourgogne...
    ...inscrivez-vous* au Jaicaissou, la Newsletter de chez nôs !

    *En validant votre inscription, vous acceptez que Langues de Bourgogne mémorise et utilise votre adresse email dans le but de vous envoyer des emails d’informations. Conformément au “Règlement Général sur la Protection des Données”, vous pouvez vous désinscrire à tout moment en écrivant à languesdebourgogne@gmail.com