«L’évidente parenté avec la chanson « J’ai vu le loup, le renard et la belette » ne doit en aucun cas faire oublier aux auditeurs que, dans « lai Détorbe » (la descente de Château-Chinon), il y a de nombreux virages. On n’arrête pas de vous le dire : soyez prudrent ! Et si vous rencontrez le loup faites lui toutes nos amitiés. Attention, si vous rencontrez un loup dans le quartier du Gargouillat (Château-Chinon), c’est sans aucun doute un loup-des-villes.»
Eh bien, oui, c’est de Noël que nous allons parler aujourd’hui, et vous me pardonnerez si cette causerie sur le bon vieux temps touche quasi à la politique et à la religion .
Et, d’abord, mes chers collègues, permettez-moi de vous demander si vous avez mis au feu votre bûche de Noël, celle dont les derniers tisons, soigneusement conservés, vous serviront, aux jours d’orage, à écarter la foudre de votre maison, et dont le charbon, réduit en poudre, préservera vos bestiaux de tous maux et de toutes maladies? Vous vous chauffez au charbon de· terre, me direz-vous; eh bien! tant pis, les traditions s’en vont, le bon feu de bois aussi, et c’est grand dommage, car il n’y a vraiment bonnes causeries et bonnes réjouissances qu’auprès d’un foyer amplement garni de bonnes bûches de foyard et de chêne. – Raison de plus donc pour en causer.
La bûche de Noël va, en effet, me donner toute la morale de ma causerie d’aujourd’hui, en nous ramenant à cet arbre de Noël, à ce sapin qu’on fait venir d’Alsace-Lorraine, et autour duquel tous ces enfants de l’exil pourront encore se croire, un instant, au foyer domestique, sur le sol de leur chère patrie.
Pour commencer, laissez-moi pourtant vous enlever une illusion, ou mieux vous ramener à la vérité, sur les origines de cette fête, qui n’est pas plus chrétienne que celle de Pâques n’est catholique, quoi qu’on en dise. C’est encore un de ces emprunts sacrés faits par le catholicisme au culte astral.
Noël n’est pas, en effet, la fête anniversaire de la naissance du petit Jésus dans une étable, naissance dont on ne connut jamais le lieu ni la date certaine, mais c’est une fête de toutes les religions, je pourrais dire de l’humanité tout entière.
Ce petit Jésus qui vient de naître, pour arracher l’homme aux ténèbres et à la mort, n’est autre, disons-le de suite, que le fils nouveau-né du père soleil, Agni, le feu qui en émane et qui vient nous réchauffer à l’heure où nous courions risque d’être perdu dans les frimas de l’hiver.
À ce moment de l’année, c’est-à-dire au solstice d’hiver, alors que l’astre bienfaisant, c’est ainsi qu’on a coutume de nommer le soleil, semble presqu’éteint et menace de nous fuir à tout jamais, il s’arrête, il hésite, sentant bien qu’il va commettre une mauvaise action en nous délaissant, et il se met à tourner sur lui-même, pendant plusieurs jours, sans avancer ni reculer.
Que fait-il donc ainsi? Il est en grand labeur, il rallume sa lampe quasi-éteinte et en ravive le feu pour la nouvelle année. C’est fait et le voilà maintenant nouveau soleil; c’est ce qui signifie Noël.
Oui, en tournoyant ainsi sur lui-même, il a fabriqué le feu nouveau, le feu vierge qui va nous réchauffer pendant toute l’année, et qui atteindra son plus grand éclat à la Saint-Jean, cette autre grande fête solaire, après quoi, s’étant arrêté pendant quelques jours encore, comme fatigué d’une si longue course, il descendra à nouveau vers l’horizon. Ces deux époques d’arrêt se nomment les solstices : solstice d’hiver et solstice d’été, et elles ont servi, presque dans tous les temps, à marquer le commencement d’une nouvelle année. On sait, en effet, que c’est de Noël que les Grecs la dataient. Il en fut de même en France sous les rois de notre première race. De là l’origine des étrennes de Noël
Ce grand phénomène astronomique du retour du soleil, s’arrêtant et travaillant avant de nous revenir, a frappé vivement l’imagination des premiers observateurs de la marche des astres. Ils arrivèrent. ainsi à prédire le retour périodique des saisons, à en marquer le temps; ils devinrent pour le commun des mortels des prophètes, des prêtres, et on leur attribua des pouvoirs particuliers sur les astres qui semblaient, pour ainsi dire, obéir à leurs ordres,
On fit donc, de cet arrêt de l’astre qui terminait sa course pour en recommencer une nouvelle l’objet d’une fête, c’est-à-dire d’un acte de réjouissance et eu même temps d’actions de grâces. Il y avait de quoi.
Maintenant, cher lecteur, reportons-nous un peu au temps où non seulement nous n’avions pas d’allumettes chimiques, ni même de briquets, et où il fallait aller chercher du feu chez son voisin, quand ou avait eu la malchance de laisser éteindre le sien, ainsi que nous l’avons vu faire, il n’y a pas bien longtemps à la campagne. On s’en va, tenant en main un vieux sabot, au fond duquel on a mis un peu de cendre, quêter chez un mieux avisé que vous un charbon qu’on rapporte précieusement en soufflant légèrement dessus pour qu’il ne s’éteigne pas et ne s’use pas trop vite non plus.
Conserver le feu, et cela se comprend facilement, était alors une de nos plus grosses affaires et, de là, le culte du foyer et un personnel chargé de veiller à son entretien. De là, des gardiens du feu sacré, des prêtres, etc. Aussi bien que nous ayons maintenant tous les moyens nécessaires pour rallumer lampes et feu, on n’en a pas moins conservé dans nos églises des lampes auxquelles chacun venait emprunter le feu dont il avait besoin pour allumer sou foyer.
Ce feu-là, comme vous le savez aussi, est un feu vierge qu’ou renouvelle chaque année et dont les prêtres devaient rester vierges.
Remontons encore un peu plus loin, et rappelons-nous comment on a fabriqué le premier feu, le père-feu, c’est en tournant rapidement une branche pointue dans un trou pratiqué dans un tronc d’arbre.
Voyez de suite l’analogie de ce mode de fabrication du feu, avec celui employé par le soleil lui-même pour rallumer le sien; c’est eu tournant sur lui-même pendant plusieurs jours, ou mieux en frottant ses rayons éteints contre quel qu’arbre sacré des espaces éthérés, qu’il est parvenu à faire jaillir la nouvelle étincelle, qu’il a formé le feu vierge de la nouvelle année. C’est du moins ce qu’ont pensé les premiers peuples c’est la légende qu’ont créé les premiers prêtres.
Eh bien! tout cela va nous expliquer maintenant et Noël et sa bûche et ses étrennes.
« Les plus anciennes archives de l’humanité, dit M. Laisnel de la Salle, ce savant si modeste du Berry, les Vedas, ces livres sacrés des Aryas, racontent que chez ces peuples, le Soleil, le feu céleste, est adoré sous le nom d’Indra, et le feu du foyer, sous celui d’Agni.
« Agni, c’est le protecteur de la maison, le dispensateur de tous les biens, et notre cérémonie de la bûche de Noël n’est que la représentation de la fête d’Ekiam que célèbrent les Hindous en l’honneur du Soleil.
« Lors de cette fête on dressait un bûcher composé de neuf espèces de bois, puis on l’allumait avec un feu vierge sorti du frottement de deux morceaux de bois l’un contre l’autre, en ayant soin que ce feu, symbole du feu du Soleil, ne s’éteignit jamais sur l’autel. »
Chez les Druides, il y avait une fête du même genre et, dans la nuit du 1er novembre, tous les habitants d’une certaine circonscription territoriale venaient chercher le feu nouveau, et apporter ainsi une nouvelle vie dans leurs foyers.
Cette coutume a existé longtemps dans le culte chrétien, et l’usage d’allumer la bûche de Noël, à l’élévation de la messe nocturne, n’en est que la suite.
Le soir du 24 décembre, on éteignait autrefois le feu de l’âtre, et on y établissait la bûche de Noël à laquelle on mettait le feu avec un brandon allumé lui-même au feu vierge de l’église voisine, à la lampe qui brûle jour et nuit; c’est ainsi qu’on reconstituait le père-feu et avec lui tout le bonheur qu’il apporte à la maison.
Comme vous le voyez, cette bûche de Noël date de loin, et il y aurait longuement à s’étendre sur ce sujet si intéressant qui nous ramène à l’origine de tous les cultes; mais ce serait là trop nous écarter de notre sujet. Disons seulement pour aujourd’hui, que la bûche de Noël n’était pas alors un simple morceau de bois, mais bien un arbre tout entier, et j’en ai vu encore, il y a peu d’années, qu’on ne pouvait placer sur le feu qu’en laissant la porte ouverte, tant ils étaient de belle taille; de plus, cet arbre devait être, dans nos pays, soit en chêne vierge, c’est-à-dire n’ayant jamais été élagué, soit en cerisier dans les mêmes conditions.
Dans les pays du Nord, c’était, et on en comprend parfaitement la raison, un sapin, des plus beaux qu’on pût trouver.
Comme alors le foyer se trouvait au milieu de la hutte, c’est sur les extrémités de cet arbre, de cette bûche, qu’on déposait les offrandes faites au dieu qu’il s’agissait d’honorer; puis, quand Noël marqua le commencement de l’année, les cadeaux d’étrennes.
Nous arrivons ainsi à cet arbre de Noël, qu’on ne met plus au feu, mais qu’on dresse dans la chambre et aux rameaux desquels on suspend les cadeaux destinés aux enfants, pendant que la bûche bienfaisante les réchauffe et semble ainsi s’associer aux joies de la famille.
Aujourd’hui, cette fête de l’arbre de Noël est devenue pour nous une sorte de fête patriotique; c’est la fête du Souvenir, la fête de notre Alsace-Lorraine.
Et c’est en y songeant que j’ai été conduit, comme je le disais en commençant, à laisser la politique de côté pour vous y ramener par ce fil du Souvenir le plus profond, le plus triste, mais aussi le plus instructif.
En songeant, en effet, à notre Alsace-Lorraine, à cette terre ravie à notre terre, à ces enfants qui ne peuvent plus vivre librement au foyer domestique; ne devons-nous pas trouver là le meilleur enseignement politique qu’il soit possible de rechercher.
Si, aujourd’hui, nous voyons la patrie démembrée, à quoi le devons-nous? A nos fautes. Nous avons abdiqué nos droits, nous nous sommes jetés dans les bras du pouvoir personnel, nous avons manqué à nos devoirs et méconnu la liberté.
Que la fête de Noël soit donc pour nous la fête du Souvenir, et en même temps celle de l’espérance. Qu’elle entretienne dans nos cœurs ce feu de l’amour de la patrie et de la liberté que nous ne devons jamais perdre.
Veillons sur la lampe sacrée, et si encore aujourd’hui nous tenons la plume alors que nous aurions tant de raisons de nous reposer, c’est parce que nous pensons qu’il convient de transmettre à nos neveux le culte du feu sacré, le culte de l’amour de la patrie et de la liberté, le culte du Souvenir et de l’amour de l’humanité. Ne les laissez pas périr.
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