LÉGENDES
Contes et Dialogues de la veillée
En patois Bourguignon
J’ai noté très scrupuleusement ces débris sous la dictée des personnes qui s’en souviennent, afin de les reproduire fidèlement avec leur couleur locale.
J’ai consulté, pour l’orthographe, les vieux Noëls d’Aimé Piron et de La Monnaye. Les ouvrages de Mignard, d’Amanton, ainsi que le Glossaire du Morvan, par E. de Chambure, qui paraissent se rapporter le mieux à la prononciation du patois dans notre région.
Cependant, afin de ne pas obliger le lecteur a une étude spéciale, j’ai cru devoir modifier l’orthographe en écrivant certains mots comme ils sc prononcent.
Emile BERGERET.
LE CONTE DE LA RATTE ET DU POULÔ
El y aivoo ein jor eine raitte qui raimassoo de neusille (1) por son hivar (2). Velai ein poulô qui vén, aipeu qui y époinche paule-maule son ardon (3). Lai raitte dili queman celai : « T’a bén méchant, tu feroo bén méu de m’aidieu (4) aipeu d’an fare ein tas por toi queman le mène. » Le poulô li di: « I veu bèn, seureman (5) i j’an feron troi tas é y an airai deu por moi aipeu ein por toi. »
Lai raitte Ii di : « ç’a fai. »
Ai se mettan an train chécun de lo coutai (6), mà lai raitte qui n’étoo pa bête peurnoo (7) le soin de moitre (8) teute lé bonne neusille dan son tas ai peu teute cetey qui ne vaillein ran dan le tas du poulô.
Quant el on u fini lo besoigne, le poulô li di : « Si i dignein ? (9) » i veu bèn, que di lai raitte. Velai le poulô qui vai queri dé neusille dan sé tas, el an casse ene, elle ne vailloo ran, le méulo (10) n’étoo pa bon, el en casse ancor ene autre qui ne vailloo ancor ran, pèu encor ene, ai s’aipercevi que sé tas n’éteint pa bon. Ai retorne dan c’teu de lai raitte elle étein teurteu bonne. Quant le poulô ai vu que lai raitte l’aivoo trompai ai li baille ein cô de bec qui Ii creuve la panserotte (11), aipeu ai se sauve.
Velai lai raitte qui perdoo sé tripe qui vai vé le tisseran, elle li di : « Tisseran, tisseran, baille-me du fi po racommodai mai p’tiotte panserotte que le poulô m’é crevé. »
Le tisseran li di: « Baille-me du chenôve, (12) i te baillerai du fi po racommodai tai p’tiotte panserotte que le poulô té crevé. »
Lai raitte vai vé le cham, elle li di : « Cham, cham, baille me du chenôve po qu’i le baille au tisseran, qui me baillerai du fi po racommodé mai p’tiotte panserotte que le poulô m’é crevé. »
Le cham li di : « Baille-me du femei po farre poussé du chenôve que tu baillerai au tisseran, qui te baillerai du fi po racommodai tai p’tiotte panserotte que le poulô t’é crevé. »
Lai raitte vai vé lai vaiche, elle li di : « Vaiche, vaiche, baille-me du femei po qu’i le baille au cham qui me baillerai du chenôve po bailler au tisseran qui me baillerai du fi po racommodai mai p’tiotte panserotte que le poulô m’é crevé. »
Lai vaichc li di : « Baille-me de l’barbe, i te baillerai du femei que tu baillerai au cham qui te baillerai du chenôve po bailler au tisseran qui te baillerai du fi po racommodai t’ai p’tiotte panserotte que le poulô t’é crevé. »
Lai raitte vai vé le pré, elle li di : « Pré, pré, baille-me de l’harbe po qui l’ai baille ai lai vaiche qui me baillerai du femei po bailler au cham qui me baillerai du chenôve po bailler au tisseran qui me baillerai du fi po racommodai mai p’tiotte panserotte que le poulô m’ai crevé. »
Le pré li di : « Baille-me de l’éa, i te baillerai de l’barbe que tu baillerai ai lai vaiche, qui te baillerai du femei po bailler au cham qui te baillerai du chenôve po bailler au tisseran qui te baillerai du fi po racommodai tai p’tiotte panserotte que le poulô t’é crevé. »
Lai raitte vai vé lai riveire, elle li dit : « Riveire, riveire, baille-me de l’eà po qui lai baille au pré qui me baillerai de l’harbe po bailler ai lai vaiche, qui me baillerai du femei po bailler au champ qui me baillerai du chenôve po bailler au tisseran qui me baillerai du fi po racommodai mai p’tiotte panserotte que le poulô m’ai crevé. »
Lai riveire li di : « Baille-me du fer po gardai mé bor, i te baillerai de l’eà que tu baillerai au pré qui te baillerai de l’harbe po bailler ai lai vaiche qui te baillerai du femei po baillé au cham qui te baillerai du chenôve po bailler au tisseran qui te baillerai du fi po racommodai tai p’tiotte panserotte que le poulô t’é crevé. »
Lai raitte vai vé le maréchau (13), elle li di : « Maréchau, maréchau, baille-me du fer po qui le baille ai lai riveire qui me baillerai de l’eà po bailler au pré qui me baillerai de I’harbe po bailler ai lai vaiche qui me baillerai du femei po bailler au cham qui me baillerai du chenôve pour bailler au tisseran qui me baillerai du fi po racommodai mai p’tiotte panserotte que le poulô m’é crevé. »
Le maréchau li dit : « Eh ben met tai paitte su l’anclume po teni le fer qu’i vai te côpé. »
Lai raitte met sai paitte su l’anclume aipeu le maréchau li baille ein bon cou de marteà qui l’écrase.
VARIANTE :
Le cham me baillerai du grain po bailler au moulin, le moulin me baillerai du son po bailler au couchon, le couchon me baillerai sai p’tiotte toilette (14) po racommodai mai p’tiotte panserette que le poulô m’é crevé en allan es noisettes.
Le conte de la raitte et du poulô est un dernier écho des veillées. Il se disait encore, il y a une soixantaine d’années, dans la cave de la mère Jean Jouan, située a l’extrémité de Nuits-Amont. Là, comme dans les autres caves du faubourg Saint-Symphorien et de Nuits-Aval, les voisines se réunissaient le soir depuis le souper jusqu’à minuit. Elles liardaient d’abord pour acheter la lumière : une chandelle ou une lampe à huile, qui était placée sur une bûche de bois plantée debout au centre de la réunion. Les fileuses, avec leurs rouets, formaient le premier cercle et les tricoteuses se plaçaient ensuite. Puis, tour a tour, les veilleuses commençaient par les légendes du Château-Renaud, des Trous-Légers, du Roi de Villars et de toute la vallée mystérieuse du Muzin.
(1) Neusilles, noisettes, petites noix.
(2) Hyvar, hyver.
(3) Ordon, dans la côte Nuitonne, rangée, ligne de travail dans les champs ou la vigne. Aimé Piron en donne le sens dans sa « Requaîte de Jaiquemar » (Voy. Mignard).
Un chécun menne son odon
Comme ai l’antan.
(4) Aidieu, aider.
(5) Seureman, seulement.
(6) Coutai, côté.
(7) Peurnoo, prenait.
(8) Moitre, mettre.
(9) Dignien, si nous dinions.
(10) Méulo, amande de la noisette et autres des fruits à écale. On dit dans le Morvan ; Neuillon. (Voy. de Chambure.)
(11) Panserotte, panse.
(12) Chenôve, se dit dans la côte Nuitonne pour chanvre, étoupe.
(13) Maréchau, marchau, maréchal. En Picardie : marichau.
(14) Toilette, s’emploie ici pour « tissu. »
Mémoires / Société d’histoire, d’archéologie et de littérature de l’arrondissement de Beaune. 1896.